Fw: Re: [tied] Re: Frankish origins

From: Torsten
Message: 65081
Date: 2009-09-21

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Vladimir Kouznetsov, Iaroslav Lebedynsky
Les Alains

'CONCLUSION
BILAN D'UNE HISTOIRE A REBONDISSEMENTS

Au terme de cette étude, le lecteur dispose de tous les éléments utiles pour constater que les Alains méritent mieux dans l'histoire que quelques notes éparses.

Lorsqu'ils apparaissent en tant qu'héritiers des confédérations sarmates de la steppe eurasienne, ils se situent dans la continuité de ces peuples « scythiques » qui ont imprimé leur marque sur ces immenses espaces et sur tant de leurs voisins : Slaves et Germains, Finno-Ougriens, Turcs d'Asie centrale.

A la fin du IVe siècle, ils perdent cet « empire des steppes », mais Germains orientaux et Huns diffusent en Europe centrale et en Occident une culture synthétique qui leur doit beaucoup et qui démultiplie leurs influences militaires, artistiques, peut-être même religieuses. Et s'ils ne sont qu'une minorité dans la masse « barbare » des nouveaux maîtres de l'Europe occidentale, leur rôle direct en Gaule ne doit pas être sous-estimé : c'est bien le roi alain Eochar, au centre du dispositif « romain », qu'Attila trouve en face de lui aux Champs Catalauniques.

La période suivante, celle de l'Alanie caucasienne, s'achève sur l'échec de la construction étatique : le grand royaume chrétien de Ciscaucasie éclate avant même la catastrophe mongole du XIIIe siècle. Mais cette triste fin ne doit pas faire oublier l'histoire brillante qui la précède et notamment l'apogée des Xe-XIe siècles. Les traces s'en lisent encore, non seulement dans l'architecture et les vestiges archéologiques, mais aussi dans l'ethnographie. Tous les peuples du Nord-Caucase ont été plus ou moins marqués par la domination ou le voisinage des Alains, et la relative homogénéité de civilisation qui contraste avec la grande diversité ethnolinguistique de cette région du monde doit sans doute beaucoup à la synthèse qui s'y est opérée entre les traditions indigènes et les apports iraniens successifs, en dernier lieu celui des Alains.

L'Alanie a également joué un rôle géopolitique éminent comme élément de la coalition byzantine, d'abord dans le cadre du kaghanat khazar, puis de façon autonome. Si la plus grande partie de la Ciscaucasie n'a été islamisée que beaucoup plus tard, et superficiellement, c'est notamment à cause de l'action mili-
taire des Alains.

La décomposition de l'Alanie peut quand même faire réfléchir. Il est permis de se demander si les Alains (et plus généralement les peuples « scythiques ») ne sont pas demeurés, tout au long de leur histoire, rétifs à l'idée même de pouvoir politique permanent et fort. Des réticences semblables, liées à des particularités de l'organisation sociale ou à des faits d'idéologie, ont été relevées dans le cas des Celtes, dont le destin historique (y compris le reflux final) est finalement très parallèle à celui de leurs lointains cousins iranophones.

A considérer cet aspect des choses sur le long terme, on est frappé de la facilité avec laquelle les Alains, dont la guerre est l'une des « industries » principales, servent à différents titres dans des armées étrangères. Ils combattent pour Rome, pour Constantinople, pour la Perse, pour la Géorgie, pour les Khazars, pour les Mongols, pour la Hongrie... Alliés, auxiliaires ou mercenaires, dans tous les cas, il s'agit moins de défendre des intérêts proprement alains que d'exercer d'incontestables talents militaires. Si le guerrier alain est bien reflété par son double épique narte, la clef de ce comportement réside dans l'idéologie guerrière : l'accomplissement que le guerrier trouve au combat est, dans une certaine mesure, plus important que la nature de l'adversaire ou les raisons du conflit. C'est pourquoi le héros narte, à longueur de récit, cherche l'occasion de montrer sa bravoure. De même, les Alains de la garde mongole n'ont participé à la conquête de la Chine ni contraints et forcés, ni par amour pour Khubilaï, mais parce que cette aventure leur donnait l'occasion de mener le genre de vie que valorisait toute leur culture.

Les groupes d'Alains qui obtiennent d'un souverain étranger, en échange de leurs services, les avantages matériels et l'autonomie communautaire qui leur permettent d'avoir une existence conforme à leurs traditions n'ont nullement le sentiment de déchoir.
On mesure alors le fossé qui sépare cette attitude, par exemple du patriotisme d'Etat forcené des Romains, ou du prosélytisme armé des Arabes, et le facteur d'affaiblissement qu'elle représente pour les Alains en tant que peuple ou que collectivité politique.
Certains historiens, comme B. Bachrach, ont été plus loin et ont prêté aux Alains une propension particulière à l'assimilation. La généralisation est abusive; l'exemple des Ossètes bien sûr, mais aussi celui des lasses de Hongrie, montrent que les Alains pouvaient au contraire conserver leur identité dans des circonstances pas toujours favorables.

Les dernières phases de l'histoire des Alains, celles de la domination mongole, des massacres timourides et du repli dans la forteresse montagnarde, sont certes marquées par des faits d'assimilation, mais aussi et bien davantage par la vitalité des groupes alains résiduels et leur capacité d'adaptation. Privés de l'essentiel de leurs territoires et de leurs ressources, les Alains caucasiens maintiennent ou reconstruisent une société communautaire, et sauvent leur langue et leur culture (ici, la prédominance dans leurs traditions de solidarités familiales et tribales a dû représenter un avantage). Le passage à une économie de montagne, la conquête de territoires sur le versant sud du Caucase, le syncrétisme religieux qui unit le peuple autour de cultes « nationaux », sont autant d'éléments qui garantissent le maintien d'un noyau ethnique.
Les Alains ont disparu en tant que tels. Mais ils se survivent à travers les Ossètes, bien conscients désormais de cet héritage prestigieux, et à travers l'épopée narte qu'ils ont léguée à toute la Ciscaucasie. Ils survivent aussi dans la mémoire historique et mythique de nombreux peuples, et le voeu des auteurs est que ce livre contribue, en Occident, à mieux faire connaître leur étonnante aventure et leur civilisation originale.

C'est ce qu'eux-mêmes auraient souhaité, si l'on en juge par cette dernière apostrophe du héros Ouryzmäg aux Nartes qui vont être détruits par décision divine : « Qu'avons-nous besoin de vivre sans fin ? Ce qu'il nous faut, ce n'est pas une vie, mais une gloire éternelle ! »'


Torsten